Découverte du plus ancien dessin au crayon

Archéologie

Le plus ancien exemple de dessin abstrait, exécuté à l’ocre, a été découvert sur un fragment de roche siliceuse dans des couches archéologiques datées de 73 000 ans avant le présent, dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud. Ce fragment porte sur une de ses faces un croisillon formé par neuf traits, qui ont été volontairement tracés avec un crayon d’ocre pourvu d’une fine pointe. Ce tracé précède d’au moins 30 000 ans les plus anciens dessins abstraits et figuratifs connus jusqu’à présent et réalisés avec la même technique. Cette découverte est publiée le 12 septembre 2018 dans la revue Nature par une équipe internationale impliquant des chercheurs du laboratoire Pacea (CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture) et du laboratoire Traces (CNRS/Université Toulouse - Jean Jaurès/Ministère de la Culture).

Qu’est-ce qu’un symbole ? Voici une question difficile quand il s’agit d’analyser les premiers « graphismes ». Ce que nous percevons aujourd’hui comme de véritables représentations peut en réalité avoir été produit sans but précis, comme de simples « gribouillages ». Pendant longtemps, les archéologues étaient convaincus que les premiers symboles étaient apparus lorsqu’Homo sapiens colonisa les territoires européens, il y a environ 40 000 ans. De récentes découvertes archéologiques en Afrique, en Europe et en Asie montreraient cependant une émergence beaucoup plus précoce de la production et de l'utilisation de symboles, comme par exemple la plus ancienne gravure connue, un zig-zag incisé sur une moule d'eau douce retrouvée à Trinil (Java) dans des couches archéologiques datant de 540 000 ans1 ou la découverte d’objets de parure dans plusieurs sites archéologiques africains datés entre 120 000 et 70 000 ans avant le présent2 .

Dans ce nouvel article, les chercheurs décrivent le plus ancien exemple connu de dessin abstrait réalisé avec un crayon d’ocre. Ce dessin a été identifié sur la surface d'un petit morceau de roche siliceuse, appelée silcrète, lors de l’analyse d’outils en pierre recueillis lors de la fouille de la grotte de Blombos (Afrique du Sud)3 . L'objet en question provient d'une couche archéologique datant d'il y a 73 000 ans et il porte sur l’une de ses faces un motif composé de neuf fines lignes entrecroisées.

S'assurer que ces lignes ont été volontairement tracées par des humains a représenté un défi méthodologique de taille pour les chercheurs, notamment pour l’équipe française, spécialiste de la question et de l’analyse chimique des pigments. Pour cela, ils ont d’abord reproduit expérimentalement les traits avec plusieurs techniques : avec des morceaux d’ocre pourvus d’une pointe ou présentant un tranchant, mais aussi avec des pinceaux marquant la surface avec un mélange d’eau et de poudre d’ocre, technique testée à plusieurs dilutions différentes. Ils ont ensuite comparé leurs productions au dessin original grâce à des techniques d’analyse microscopique, chimique et tribologique4 . Leurs résultats indiquent que les lignes ont été délibérément tracées avec un crayon d’ocre pointu, sur une surface préalablement lissée par frottement, ce qui fait de ce motif le dessin le plus ancien découvert, précédant d'au moins 30 000 ans les plus vieux exemples connus jusqu’alors.

La couche archéologique dans laquelle ce fragment de silcrète a été découvert avait déjà livré de nombreux autres objets à vocation symbolique, notamment des morceaux d'ocres gravés de motifs abstraits en forme de croisillons, qui ressemblent beaucoup au nouveau dessin mis au jour. Ces découvertes démontrent que les premiers Homo sapiens de cette région d’Afrique ont utilisé différentes techniques pour produire des signes similaires sur différents supports, un constat qui renforce l’hypothèse d’une utilisation symbolique de ces signes.

Fragment de silcrète portant sur l’une de ses faces un dessin composé de neuf lignes tracées au crayon d’ocre
© D’Errico/Henshilwood/Nature
Morceau d'ocre gravé d’un motif abstrait découvert dans la grotte de Blombos, dans la même couche archéologique qui a livré le fragment de silcrète portant le dessin.
© D’Errico/Henshilwood/Nature

Voir l'animation.

  • 1Voir cet article de Nature, dont F. D’Errico est également co-auteur : https://www.nature.com/articles/nature13962
  • 2D'Errico et al. Additional evidence on the use of personal ornaments in the Middle Paleolithic of North Africa. Proceedings of the National Academy of Sciences 106.38 (2009): 16051-16056. http://www.pnas.org/content/106/38/16051
  • 3Ce site est fouillé depuis 1991 par des équipes de l’université de Bergen (Norvège) et de l’université de Witwatersrand (Afrique du Sud).
  • 4La tribologie est la science du frottement et de l’usure.
Bibliographie

An abstract drawing from the 73,000-year-old levels at Blombos Cave, South Africa. Christopher S. Henshilwood, Francesco D’Errico, Karen L. van Niekerk, Laure Dayet, Alain Queffelec & Luca Pollarolo. 12 septembre 2018, Nature. DOI : 10.1038/s41586-018-0514-3

Contact

Francesco d’Errico
Chercheur CNRS en préhistoire et évolution humaine
François Maginiot
Attaché de presse CNRS