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© Bruno Clair, laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles).

L'écorce fait la force

Paris,
Environnement
Ingénierie

Quelles forces permettent à un arbre de se tenir droit ? Pour pousser droites, les plantes ont besoin d'un système moteur qui contrôle leur posture en générant des forces pour lutter contre la gravité. Les scientifiques ont longtemps pensé que cette fonction motrice n'était contrôlée que par les forces internes du bois. Des chercheurs du CNRS et du Cirad montrent, dans une étude publiée le 4 août 2018 dans New Phytologist, que l’écorce est aussi impliquée dans la génération de contraintes mécaniques chez plusieurs espèces d’arbres.

La position verticale est instable, pour les arbres comme pour les hommes, des mécanismes sont nécessaires pour contrer l’effet de la gravité. Pour assurer leur croissance verticale, les arbres ont besoin à la fois d'un système « squelettique », qui est obtenu par la rigidité et la résistance du tronc, et d'un système « moteur » pour contrôler leur posture en générant des forces compensant l'effet de la gravité. Bien que la fonction squelettique de l’écorce ait été démontrée, sa fonction motrice (en tant que « muscle » de l’arbre) a généralement été ignorée dans les études biomécaniques et écologiques, le bois étant considéré comme le seul tissu de l’arbre ayant des fonctions mécaniques actives.

Pour comprendre le rôle de l’écorce, des chercheurs du laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles) et du laboratoire LMGC (CNRS/Université de Montpellier)1 ont cultivé des espèces tropicales de façon inclinée. Dans la tige de ces jeunes arbres tuteurés se développent des forces, qui entrainent immédiatement une courbure de la tige quand le tuteur est supprimé. Chez certaines espèces, quand l’écorce de la tige est enlevée, cette courbure est annulée ce qui démontre que les forces responsables du redressement sont localisées dans l’écorce.

Le mécanisme générant ces forces est lié à la structure particulière de l’écorce, où les fibres sont organisées sous forme de treillis2 . Lors de la croissance en épaisseur de la tige, le développement des couches de bois fait augmenter la circonférence de l’écorce. L’organisation en treillis des fibres dans l’écorce est telle que cette contrainte génère des forces orientées le long de la tige. Si la tige est inclinée, la croissance est plus rapide du côté supérieur de la tige, conduisant à une asymétrie des forces générées. C’est cette asymétrie, qui permet à la tige de se courber vers le haut. Chez cinq des neuf espèces d’arbres étudiées, la génération des forces permettant à l’arbre de lutter contre la gravité n’est donc pas due uniquement à la maturation des parois des cellules du bois, mais à la poussée du bois sur ce treillis de fibres, astucieusement organisé dans l’écorce.

La nature a résolu un nombre infini de problèmes d'ingénierie. La nécessité des arbres à pousser verticalement en optimisant l’organisation de leurs tissus est aujourd’hui une source potentielle d'inspiration remarquable pour la science des matériaux.

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Jeune arbre de Cacao rivière (Pachira aquatica). L’arbre a poussé incliné tuteuré et a généré des forces dans son écorce pendant sa croissance pour se redresser. Après relâchement des liens au tuteur, l’énergie accumulée se libère et produit une flexion de l’arbre. © Barbara Ghislain, laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles)
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Coupe anatomique d’un jeune arbre de Cupuaçu (Theobroma grandiflorum) ayant poussé tuteuré et artificiellement incliné. Au centre, les tissus fragiles de la moelle. Autour, le bois, plus développé sur la face supérieure avec un tissu très riche en parenchyme et presque dépourvu de fibres. Enfin, à l’extérieur, l’écorce, plus développée sur la face supérieure avec les faisceaux du treillis de fibres organisés en flammes colorées en rouge à la safranine, écarté par des cellules de parenchyme dilatées (colorées au bleu Astra). Largeur : 8mm, hauteur : 10,3mm. © Jonathan Prunier, laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles).

 

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Détail d’une coupe anatomique d’une branche de Cacao rivière (Pachira aquatica) prélevée sur les bords du fleuve Kourou (Guyane). A gauche, la moelle. Autour, le bois, où l’on distingue les vaisseaux (éléments conducteurs de la sèves). Enfin, à l’extérieur, l’écorce, avec les faisceaux du treillis de fibres organisés en flammes (rouge), écarté par des cellules de parenchyme (bleu). © Bruno Clair, laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles).
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Organisation en treillis des fibres dans l’écorce interne d’un Theobroma Cacao. Gauche : partie interne proche du bois, centre, milieu de l’écorce, droite, partie externe de l’écorce. La poussée du bois sur l’écorce, écarte le treillis latéralement pour générer une traction dans l’axe des fibres. © Barbara Ghislain, laboratoire Ecofog (CNRS/AgroParisTech/Cirad/Inra/Université de Guyane/Université des Antilles).

 

  • 1Ecofog : Ecologie des forêts de Guyane et LMGC : Laboratoire de mécanique et de génie civil.
  • 2Un treillis est un assemblage de barres ou de câbles formant un réseau mobile à maille losanges.
Bibliographie

Mechanical contribution of secondary phloem to postural control in trees: the bark side of the force. Bruno Clair, Barbara Ghislain, Jonathan Prunier, Romain Lehnebach, Jacques Beauchêne, Tancrède Alméras. New Phytologist, le 4 août 2018. https://doi.org/10.1111/nph.15375

Contact

Bruno Clair
Chercheur CNRS
Alexiane Agullo
Attachée de presse CNRS