Un supergène pour la survie

Paris,
Biologie
Environnement

Chez certains papillons, la survie passe essentiellement par les motifs colorés qu'ils arborent sur leurs ailes. Des chercheurs du CNRS au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/Université de Montpellier/Université Paul-Valéry Montpellier 3/EPHE-PSL/IRD) en collaboration avec des équipes britanniques et américaine ont étudié les génomes de plusieurs dizaines de papillons tropicaux de l'espèce Heliconius numata pour comprendre l'origine de la diversité de leurs motifs colorés. Ils ont identifié un supergène, apparu il y a 2 millions d'années suite à une hybridation puis transmis de génération en génération et qui serait la clef de cette diversité. Cette étude est publiée dans Current Biology le 24 mai 2018.

Les papillons étudiés par les scientifiques déploient des stratégies d'adaptation pour échapper à la prédation. En arborant les couleurs et motifs habituellement portés par différents papillons toxiques, ils s'assurent par mimétisme d'être identifiés comme immangeables par les prédateurs. Ainsi, les individus qui ressemblent le plus possible aux modèles de « papillons toxiques » sont favorisés et transmettent ces caractères à leurs descendants.

Mais dans la nature, la reproduction entre deux individus donne lieu à ce que l'on appelle des brassages génétiques. Ces brassages passent par la recombinaison des chromosomes, un mélange des informations génétiques paternelles et maternelles, qui produit un génome unique et propre à chaque individu. Ainsi, selon cette logique, lorsque deux papillons portant des motifs différents se croisent, les différentes recombinaisons donneraient des descendants qui ne ressemblent plus à leurs parents mais à un mélange de leurs caractères. Les papillons verraient alors leur ressemblance aux papillons toxiques diminuer au fil des générations. Pourtant, ce n'est pas ce qui se passe chez Heliconius. Les chercheurs ont identifié un supergène, issu d'une hybridation entre Heliconius numata et un individu d'une autre espèce, il y a 2 millions d'années. Composé de 20 gènes indissociables, ce supergène est comme une valise scellée renfermant les gènes responsables de tous les caractères des ailes des papillons permettant la ressemblance avec les papillons toxiques et transmise de génération en génération. Cette architecture originale est permise par l'acquisition, lors de l'hybridation, d'un chromosome remanié qui empêche les recombinaisons.

Ces résultats nous renseignent d'une part sur la formation des supergènes et pourraient, d'autre part, s'appliquer aux stratégies adaptatives d'autres espèces. Ils révèlent également un mécanisme qui permet l'évolution des gènes tout en empêchant leur recombinaison. L'hybridation apparait ainsi comme un élément clef dans notre compréhension des processus d'adaptation.

© Mathieu Chouteau

Heliconius numata silvana. Cette forme ressemble probablement à l'apparence portée par Heliconius numata lors de la formation du supergène il y a 2 millions d'années.
© Vincent Prémel

Heliconius pardalinus. Cette espèce possède uniquement le chromosome « remanié », et l'a transmis à l'espèce Heliconius numata (ci-contre) lors d'hybridations. Celles-ci ont contribué à la formation d'un supergène, il y a 2 millions d'années

 

Bibliographie

Supergene Evolution Triggered by the Introgression of a Chromosomal Inversion, Paul Jay, Annabel Whibley, Lise Frezal, María Ángeles Rodríguez de Cara, Reuben W. Nowell, James Mallet, Kanchon K. Dasmahapatra et Mathieu Joron. Current Biology, 2018. DOI : 10.1016/j.cub.2018.04.072

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Mathieu Joron
Chercheur CNRS
Juliette Dunglas
Bureau de presse du CNRS