Fin du mystère de l'amulette : son altération cachait le secret de sa fabrication

Archéologie

C'est le plus ancien objet fabriqué à la cire perdue : 6000 ans. Le secret de fabrication d'une amulette en cuivre vient d'être élucidé, grâce à une nouvelle approche d'imagerie spectrale de photoluminescence UV/visible. Pureté du cuivre, températures de fusion et de solidification, etc., tous les paramètres de conception de cet objet sont maintenant connus avec précision. Ces travaux ont permis aux scientifiques de percer le mystère de l'invention de la fonte à la cire perdue, une technique à l'origine de la fonderie d'art. Issus d'une collaboration 1  entre chercheurs du CNRS, du ministère de la Culture et de la Communication et du synchrotron SOLEIL, ils font l'objet d'une parution le 15 novembre 2016 dans la revue Nature Communications.

  • 1Voir liste des laboratoires impliqués en fin de communiqué de presse

Sous la loupe des chercheurs : une amulette en cuivre, découverte dans les années 1980 sur une parcelle occupée il y a 6000 ans, dans un haut lieu d'innovation depuis le Néolithique : Mehrgarh, dans l'actuel Pakistan 2 . La forme de cet objet indique qu'il a été conçu avec la première technique de fonderie de précision : la fonte à la cire perdue (qui est encore utilisée de nos jours). Ce procédé part d'un modèle sculpté dans un matériau à bas point de fusion comme la cire d'abeille. Le modèle est enrobé de terre argileuse, l'ensemble chauffé pour évacuer la cire, puis cuit. Le moule est alors rempli de métal en fusion puis brisé pour libérer l'objet métallique. On n'en savait pas plus sur la fabrication de cette amulette en cuivre, jusqu'à cette nouvelle approche par photoluminescence, qui vient de révéler une structure interne… inattendue ! 

Aujourd'hui majoritairement composée d'oxyde de cuivre (cuprite), l'amulette émet pourtant une réponse non uniforme sous illumination UV/visible. Entre les dendrites 3  formées au début de la solidification du métal en fusion, les chercheurs ont découvert des bâtonnets, invisibles avec toutes les autres approches testées. La forme et la disposition de ces bâtonnets ont permis à l'équipe de reconstruire la chaîne de fabrication de l'amulette avec un niveau de détail sans précédent pour un objet aussi corrodé. 

Il y a 6000 ans, après solidification à haute température du cuivre la constituant, l'amulette était composée d'une matrice de cuivre pur constellée de bâtonnets de cuprite, une conséquence des conditions oxydantes de la fonte. Avec le temps, le cuivre de la matrice s'est également corrodé en cuprite. Le contraste observé par photoluminescence résulte d'une différence de défauts cristallins entre les deux cuprites présentes : des atomes d'oxygène sont manquants dans la cuprite des bâtonnets, défaut qui n'existe pas dans celle formée par corrosion. 

Cette nouvelle technique d'imagerie, à haute résolution et très grand champ de vue, a permis d'identifier le minerai utilisé (du cuivre particulièrement pur), la teneur en oxygène absorbée par le métal en fusion, et même les températures de fonte et de solidification (proche de 1072°C). Cette découverte illustre le potentiel de cette nouvelle approche d'analyse qui  pourra être appliquée à l'étude d'une très large gamme de systèmes complexes : matériaux semi-conducteurs, composites… et bien sûr objets archéologiques. 
 

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© Cliché C. Jarrige, Mission archéologique de l'Indus.
Vue photographique du site archéologique MR2 à Mehrgarh occupé de 4 500 à 3 600 ans avant J.-C. où a été retrouvée l'amulette.
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© Cliché D. Bagault, C2RMF.
Photographie de l'amulette de Mehrgarh, plus ancien témoignage de fonte à la cire perdue.
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© Clichés D. Bagault, B. Mille, C2RMF.
Ensemble des petits objets de parure coulés à la cire perdue découverts lors de la fouille du site MR2 à Mehrgarh (début du Chalcolithique, fin de la période III, 4500–3600 ans avant J.-C.).
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© Image T. Séverin-Fabiani, M. Thoury, L. Bertrand, B. Mille, IPANEMA, CNRS / MCC / UVSQ, Synchrotron SOLEIL, C2RMF.
Images comparées de photoluminescence à haute dynamique spatiale (PL, haut) et de microscopie optique (bas). La zone imagée correspond à une portion d'un des rayons de l'amulette. L'image PL révèle une structure eutectique en bâtonnets invisible par toute autre technique testée. Grâce à cette image, le procédé de fabrication de l'amulette peut enfin être expliqué.

D'autres visuels sont disponibles sur demande.

Pour consulter le reportage photos 

Cette étude implique de nombreux laboratoires et institutions français :  
-    l'Institut photonique d'analyse non-destructive européen des matériaux anciens (Ipanema, CNRS / Ministère de la Culture et de la Communication / UVSQ)
-    le Centre de recherche et de restauration des musées de France, service du ministère de la Culture et de la Communication (MCC)
-    le laboratoire “Préhistoire et technologie” (CNRS / Université Paris Nanterre)
-    le laboratoire “Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés” (CNRS / Université de Toulouse Jean-Jaurès / MCC)
-    le laboratoire “Archéologies et sciences de l'Antiquité” (CNRS / Universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris Nanterre / MCC)
-    le synchrotron SOLEIL
-    l'Institut de France

  • 2Mehrgarh est localisé dans la plaine de Kachi ouvrant sur la vallée de l'Indus. Ce site a été découvert et fouillé en 1974–1985 et 1997–2000 dans le cadre de la mission archéologique de l'Indus, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et du Développement international et en collaboration avec le Département d'archéologie et des musées du Pakistan.
  • 3Les dendrites sont des structures cristallines ramifiées, comme par exemple les branches d'un flocon de neige.
Bibliographie

High spatial dynamics-photoluminescence imaging reveals the metallurgy of the earliest lost wax-cast object. M. Thoury, B. Mille, T. Séverin-Fabiani, L. Robbiola, M. Réfrégiers, J.-F. Jarrige, L. Bertrand. Nature Communications. 15 novembre 2016. DOI: 10.1038/ncomms13356.

Contact

Loïc Bertrand
Director of the IPANEMA laboratory
Benoît Mille
Engineer at C2RMF
Priscilla Dacher
Presse CNRS