Frégate du Pacifique : des mois de vol au-dessus des océans, sans jamais se poser

Environnement

Les frégates du Pacifique étaient déjà réputées pour leur capacité à voler des semaines sans se poser. Une étude télémétrique de leur trajectoire et stratégie de vol vient de révéler qu'elles peuvent rester dans les airs durant plus de deux mois lors de leurs migrations transocéaniques. Fin stratèges, elles profitent des conditions atmosphériques rencontrées dans les eaux tropicales (les alizés et les courants d'air ascendants au niveau des nuages) pour voler et planer sur des milliers de kilomètres, en minimisant les battements d'ailes et donc leur dépense d'énergie. Les résultats de cette étude pilotée par Henri Weimerskirch du Centre d'études biologiques de Chizé (CNRS/Université de La Rochelle) en partenariat avec des collègues basés à La Réunion, au Royaume-Uni, au Canada et en Allemagne1  , sont publiés le 1er juillet 2016 dans la revue Science.

  • 1Sont impliqués : le Laboratoire Entropie (CNRS/Université de La Réunion) en France, l'université de Bangor (UK), l'université de Vancouver (Canada) et l'université technologique de Munich (Allemagne).

Oiseau marin énigmatique car difficilement observable, la frégate du Pacifique (Fregata minor) est très légère et dotée d'ailes très longues et très larges, ce qui lui confère une capacité exceptionnelle à planer et monter dans les courants d'air ascendants sans battre des ailes. Avec la période d'élevage des jeunes la plus longue de tous les oiseaux et son incapacité à se poser sur l'eau 2  (alors qu'elle dépend entièrement de poissons volants qu'elle doit capturer en vol), la frégate constitue un sujet de choix pour le projet de recherche Early life 3  centré sur l'étude des comportements de jeunes prédateurs marins. C'est pourquoi une équipe de chercheurs a mené un important programme de marquage sur les frégates depuis l'île d'Europa dans le canal du Mozambique, haut lieu de reproduction de l'espèce. Une cinquantaine de spécimens adultes et juvéniles ont été équipés de capteurs autonomes, capables de mesurer simultanément et pendant des mois la position GPS, l'altitude, la fréquence cardiaque et le battement des ailes des frégates étudiées. Ces données permettent de décomposer le vol de l'oiseau, de déterminer s'il bat des ailes ou s'il plane et d'en déduire son mouvement et ses dépenses énergétiques.

A large échelle, les enregistrements montrent que les frégates effectuent leurs vols transocéaniques entre l'Afrique et l'Indonésie en suivant le bord de la zone de formation des cyclones tropicaux autour de l'équateur, souvent appelée pot-au-noir 4  par les marins. Elles utilisent des vents favorables (les alizés) pour effectuer sans effort d'immenses cercles dans l'océan Indien. Les juvéniles en particulier, qui quittent pour la première fois leur lieu de naissance, parcourent des milliers de kilomètres et, encore plus étonnant, peuvent rester en vol pendant plus de deux mois, sans se poser.

Au sein de ces trajectoires circulaires, à plus petite échelle, les études révèlent que les frégates volent en montagnes russes. S'aidant de la convection sous les cumulus, elles montent en altitude en planant sans battre des ailes et en dépensant très peu d'énergie. Les enregistrements montrent alors de courtes périodes d'inactivité totale, suggérant que les frégates dormiraient quelques minutes pendant cette phase d'ascension. Arrivées au bas des cumulus, à 600 ou 700 mètres d'altitude, elles descendent en vol plané sur des kilomètres, sans dépense d'énergie. Dans les zones moins nuageuses, pour planer sur de plus longues distances, les frégates peuvent monter régulièrement à de très hautes altitudes (de 3000 à 4000 mètres) en entrant à l'intérieur des cumulus où elles bénéficient de puissants courants ascendants. Mais elles y rencontrent également des températures négatives auxquelles leur plumage dépourvu de duvet n'est pas adapté.

Cette étude pose de nombreuses questions sur la capacité des frégates à dormir en vol, à résister aux conditions extrêmes rencontrées à l'intérieur des cumulus mais aussi sur la stratégie qu'elles emploient pour éviter les cyclones tropicaux sur leur trajectoire.

galapagos argos juvenile great frigatebird
© A. Prudor / CNRS CEBC
Une jeune frégate du Pacifique est relâchée après avoir été équipée d'une minuscule balise Argos
feeding event frigatebird
© A. Prudor / CNRS CEBC
Une femelle frégate atterrit près de son jeune déjà volant pour le nourrir. La période d'apprentissage du vol peut durer 6 à 8 mois chez les jeunes frégates, une durée exceptionnelle chez les oiseaux.

 

Consultez une vidéo sur ces travaux : 

 

(en cas d'utilisation de cette vidéo, merci de bien spécifier qu'il s'agit d'un extrait du film Independence days, sur les traces des jeunes prédateurs marins, un film d'Aurélien Prudor et Henri Weimerskirch).

  • 2Leur plumage n'est pas étanche.
  • 3Early life : Ce projet de recherche financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) a pour objectif de fournir de nouvelles informations sur les premiers mois de vie d'oiseaux marins et de phoques juvéniles, en les suivant lors de leur phase de dispersion dans l'océan Austral et les eaux tropicales.
  • 4Le pot-au-noir ou zone de convergence intertropicale est une ceinture de quelques centaines de kilomètres du Nord au Sud de zones de basses pressions entourant la Terre près de l'équateur, caractérisée par une absence de vent.
Bibliographie

Frigate birds track atmospheric conditions over months-long trans-oceanic flights. Weimerskirch, H., Bishop C., Jeanniard du Dot T., Prudor A., Sachs G. Science. 1er juillet 2016.

Contact

Henri Weimerskirch
Chercheur CNRS
Priscilla Dacher
Presse CNRS